Le projet de révision de la constitution du 11 décembre 1990 soumis à l’Assemblée nationale en … 2017, a lancé le débat sur les missions et attributions et surtout l’importance et l’opportunité de l’existence du Conseil Economique et Social au Bénin. Dandi GNAMOU, Agrégée des facultés de droit, dans cette interview accordée une interview à la Lettre du CES, fait sa lecture de l’Institution.

LA LETTRE DU CES : Pourquoi fallait-il créer le Conseil Economique Social (CES) et le constitutionnaliser ?

DANDJI GNAMOU : La création d’un Conseil Economique et Social (CES) répond fondamentalement au besoin d’associer les « forces vives » de la Nation au processus législatif. A travers la représentation qu’il assure des différentes couches socio-professionnelles, le CES favorise, en principe, la participation de ces « forces vives », à la politique économique et sociale de notre pays. C’est ce qui explique que cette institution soit obligatoirement consultée sur tout projet de loi de programme à caractère économique et social (article 139 alinéa 2 de la Constitution). Sa constitutionnalisation était nécessaire, d’une part, pour confirmer le rôle de ces différentes couches professionnelles présentes lors de la Conférence des « forces vives » de la Nation. D’autre part, même si l’expérience française est celle de la constitutionnalisation du CES devenu Conseil Economique Social et Environnemental (CESE), le CES est une institution constitutionnelle introduite en droit béninois dès la Constitution du 28 février 1959, réaffirmée dans celles du 11 janvier 1964, du 11 avril 1968 et du 26 novembre 1969, mais disparue sous l’ère révolutionnaire. La place des couches socio-professionnelles qui ont fécondées les débats lors du tournant démocratique paraissait donc incontournable dans un processus de construction de l’avenir en commun qui a reposé entièrement sur ces « Forces vives de la Nation ».

  • Quelle est l’importance le Conseil Economique Social dans un modèle de démocratie comme le nôtre ? 

Georges Cahen-Salvador estimait que le but des CES « c’est la texturation économique et la coopération sociale. C’est par eux, c’est dans leur sein que peut et doit se faire l’éducation, s’opérer le rapprochement des classes. »[1]. Cette assertion est aussi vraie pour le Bénin. Le CES est d’une importance capitale en tant que « deuxième chambre », car il est l’autre représentation de la société, celle de la société civile agissante, non seulement, il favorise la collaboration et le dialogue entre les différentes couches socio-professionnelles, mais c’est aussi le trait d’union entre la société civile et les instances politiques. Les élus doivent se tourner vers cette institution en contact direct avec les réalités économiques et politiques, pour mieux légiférer.  

  • Pourquoi le Constituant a voulu que les avis du Conseil Economique Social n’aient pas force de décision ? Le contraire serait-il possible ?

Le CES a un rôle consultatif. Il émet des avis consultatifs, pour ne pas concurrencer la légitimité démocratique dont le Président de la République et les Députés sont oints. En effet, si la composition est large, les membres du CES sont désignés et non choisis par le Peuple pour exprimer notre volonté. Ceux qui expriment la volonté populaire selon des procédures précises ce sont les élus du peuple : le Président de la République, et les Députés. L’avis du CES s’il est donc nécessaire et obligatoirement requis pour les lois de programme à caractère économique et social, ne doit pas s’imposer ou se substituer à celui émis par le législateur. 

C’est donc en raison de son rôle de conciliation des idées entre les différents milieux professionnels et entre ces milieux et les instances politiques, que le CES ne se voit pas reconnaître un rôle décisoire. 

  • Pourquoi a-t-on l’impression que l’institution ne fonctionne pas ?

Le CES est une assemblée consultative qui ne bénéficie ni de la même médiatisation, ni des mêmes avantages que les autres institutions. Sa nature consultative rend difficilement mesurable son efficacité et son utilité. Sa visibilité limitée joue donc en sa défaveur, bien qu’elle soit une institution de caractère constitutionnel. 

  • En dehors des avis et recommandations à la demande du Président de la République et l’Assemblée nationale, le Conseil Economique Social se positionne de nos jours comme un acteur clé de la promotion du dialogue social à travers le rôle de facilitateur qu’il joue. Ne doit-il pas aller encore au-delà pour convaincre les citoyens béninois de son utilité ?

Pour convaincre les Béninois de son utilité, le CES doit faire un effort particulier en matière de communication. L’institution est souvent méconnue, il convient donc déjà d’assurer sa présence effective, sa visibilité dans le paysage socio-économique béninois.
 

  • Le Conseil Economique Social est une assemblée de représentants des différentes catégories socio-professionnelles. Faites nous si possible une analyse comparée de cette représentativité avec les députés de l’Assemblée nationale.

La composition du CES est fixée par la loi organique du 12 juillet 1992 portant composition, organisation et fonctionnement du CES. Les 30 membres proviennent des différents secteurs d’activités et sont nommés ou désignés par les différentes catégories socio professionnelles que sont les employeurs, les salariés, les associations de développement, les artisans, les artistes et animateurs culturels, les fédérations sportives, les professions libérales, les chercheurs, et les personnes exerçant des activités sociales. Leur désignation relève soit du pouvoir politique (Président ou bureau de l’Assemblée nationale), soit d’une élection par chaque corps de métiers ou organisations. La base du choix de ces membres ne procède donc pas du suffrage universel, mais permet de retrouver les différents corps de métiers avec les différentes préoccupations attachées aux uns et aux autres. A contrario, l’origine socio professionnelle du député importe peu au moment de son élection, car cette origine n’est pas une condition de recevabilité de sa candidature. On retrouve ainsi parmi les députés beaucoup de commerçants (opérateurs économiques), des agronomes, des ingénieurs en TP et quelques juristes. A différence des membres du CES, les députés sont élus en fonction d’un attachement ou un rattachement à une aire géographique, donc sur la base d’un découpage territorial et non sur la base de leur catégorie socio-professionnelle. 

  1.  
  • Quelles réformes pourrait-on faire au Conseil Economique Social pour améliorer son fonctionnement et le rendre davantage utile à la population.

Les principales réformes pourraient concerner d’une part la visibilité, d’autre part la nature même du CES.

Pour la visibilité la publication effective et régulière des avis et recommandations de l’institution au Journal officiel ainsi qu’un suivi de leur mise en œuvre par les autorités politiques pourraient faciliter un meilleur lobbying et une justification des axes choisis par le CES.

En ce qui concerne sa nature, elle doit être beaucoup plus représentative de la société civile, promouvoir un meilleur dialogue constructif avec les instances politiques et s’assurer que ces propositions sont suivies d'effets. On peut s’interroger sur l’actualité de la composition par rapport aux différents corps de métiers et couches sociales qui existent. Ne doit-on mieux assurer la présence des femmes, des jeunes ? La place réservée aux associations dites de développement est-elle encore justifiée ? Ne doit-on pas y inclure désormais les collectivités locales ? 

Une réforme d’envergure pourrait être de transformer le CES en une véritable chambre représentative des couches socio-professionnelles et en faire un véritable trait d’union entre les préoccupations des instances politiques et celles des acteurs économiques et sociaux de notre pays.

Propos recueillis par 

Léandre D. DOSSOU


 


[1] Georges CAHEN-SALVADOR, Carnet de mémoires, cité par Alain CHATRIOT, Le Conseil national économique, 1924-1940, une institution entre expertise et négociation sociale, La Découverte, Paris, 2002.

Restez informés

Inscrivez-vous à la newsletter
du Conseil Economique et Social